Sortir des sentiers battus
S’engager dans une démarche de développement durable pour une organisation n’est pas une tâche aisée. Les principes impliquent de s’interroger sur les concepts et les connaissances que nous possédons mais aussi et surtout de remettre en cause notre façon de penser. Les paradigmes qui nous entourent et qui déterminent notre mode de penser font que nous sommes conditionnés et parfois ‘prisonniers’ de ce mode.
Une entreprise comme InterfaceFlor, leader mondial dans la conception et la fabrication de tapis innovants et de haute qualité, créée en 1973 par Ray Anderson, incarne pleinement cette capacité à sortir, à s’affranchir des sentiers battus. Pour devenir ‘verte’ et rendre son impact nul sur l’environnement, la firme a dû revoir tout son fonctionnement. Mais c’est plus particulièrement tout un travail en amont sur les comportements et les façons de penser des dirigeants de l’organisation qui ont permis une telle efficacité en termes de développement durable : l’entreprise est plus performante concernant les aspects environnementaux (recyclage et utilisation optimale des matières) mais également concernant les aspects humains et sociaux (collaboration). Enfin, économiquement, elle est plus rentable qu’auparavant.
Claude Ouimet, vice président et directeur général d’InterfaceFlor pour le Canada et l’Amérique Latine insiste sur la manière dont l’entreprise s’est engagée sur différents fronts (la tête et le cœur) en vue de réduire son impact sur l’environnement.
Le coût de l’inaction
D’abord, la question essentielle qu’il convient de se poser n’est pas le coût que l’engagement dans le DD va engendrer mais le coût de ne pas s’engager et de ne rien faire. Les enjeux sont énormes et il est extrêmement important pour une entreprise de « faire partie de la Solution », c’est-à-dire de la mise en place d’une alternative au système économique actuel. Sa contribution participe à l’amélioration de l’environnement, de la responsabilité envers l’humain et l’économie.
Toutefois, il est inutile de « prendre le virage vert » si l’implication et la conviction n’y sont pas. Cette démarche est quelque chose qui doit être sensé, qui relève d’un réel engagement et de convictions profondes et authentiques. Comme C. Ouimet l’explique, le défi n’est pas de changer ce que nous faisons mais la façon dont nous le faisons et comment nous pensons (« what we do » versus «how we think »). C’est ainsi qu’il met en avant la différence entre ce qui est mesurable et quantifiable (la tête) et ce qui relève des émotions, des pensées (le cœur).
Inspiration et cohérence
Le monde de l’entreprise ne doit pas s’opposer à la Nature, il doit se fondre, s’harmoniser avec elle. Cela exige que chacun des membres dans une organisation fasse preuve d’un investissement sincère et authentique, qu’il s’engage émotionnellement, par rapport à ce qu’il ressent, ce qui le touche. Autrement dit, il s’agit d’intervenir avec « purpose ». Il est inutile de faire du DD pour faire du DD, et de se laisser entraîner dans l’éco-blanchiment (« greenwashing »). L’approche doit être cohérente. L’intérêt réside dans l’ « essence », la quintessence de l’organisation. Il faut sortir du superficiel car ce n’est aujourd’hui plus acceptable, ni du point de vue de l’environnement, ni socialement, ni économiquement.
Ainsi, C. Ouimet évoque la « théorie U» qui consiste à mettre « son esprit en suspension », afin d’adopter une vision globale des choses. Comme il le dit très justement : « minds are like parachutes » : c’est l’ouverture d’esprit qui nous permet d’avancer. C’est pourquoi il insiste sur le « mind share », c’est-à-dire les émotions, le vrai, l’authentique, qui diffère de l’approche « market share », mesurable et quantifiable. Ce qui est mesurable n’a pas d’intérêt si cela ne résulte pas au fond de réelles et d’authentiques convictions. Evidemment, une telle remise en question demande une forte volonté quant au changement de façon de penser. C’est pourquoi il est du rôle des dirigeants d’influencer et d’amener l’inspiration. C’est tout le « capital intellectuel » : la connaissance, les émotions, l’expérience qui donnent un sens et des valeurs aux individus et à la finalité de l’entreprise. C’est la force de chacun des membres, la coopération qui permet l’inspiration. Pour un développement durable, le succès d’une entreprise ne réside pas uniquement dans le résultat et les chiffres mais dans les valeurs et les principes qu’elle prône : “Try not to become a man of success but rather to become a man of value” (A.Einstein). C’est toute sa raison d’être et son intérêt.
Marine Bulet.