L’écologie industrielle

15 Jan,13 | Société

Dans un contexte environnemental inquiétant, où le changement climatique se fait de plus en plus ressentir, les ressources s’épuisent, les inégalités géopolitiques s’accroissent, les catastrophes naturelles et écologiques se font grandissantes (inondations, sécheresses, cyclones, marées noires, explosion de réacteur nucléaire…), les différentes formes de crises émergent et la biodiversité se raréfie, il devient nécessaire d’agir.
Nous savons que les répercussions des activités humaines sur l’environnement sont énormes : les modes de consommations sont très gourmands en énergie et la question de la saturation des ressources est de plus en plus à l’ordre du jour. « Chaque année, l‘humanité génère plus de 12 milliards de tonnes de résidus dont la plupart sont enfouis, incinérés ou dispersés dans l’environnement » (Boiral, Croteau, 2001). Pour les éco-designers W. McDonough et M. Braungart, « Il n’y a aucune raison pour que les flacons de shampooing, les tubes de dentifrice, les pots de yaourts, les boîtes de jus de fruit et les autres contenants durent des dizaines ou même des centaines d’années de plus que leur contenu » (Capra, 2004).
Cette frénésie portée par la société de consommation pourrait avoir des conséquences désastreuses sur la planète et sur nos modes de vie. Il est donc essentiel d’apporter des changements de façon imminente, au niveau des comportements, des modes de consommation, des modes de production industrielle, et d’agir de manière plus raisonnée. Les entreprises ont d’ailleurs un rôle fondamental à jouer en ce sens.
Comme l’énonce l’entrepreneur et auteur Paul Hawken, « les sociétés commerciales, parce qu’elles constituent l’institution dominante sur cette planète, doivent absolument prendre en compte les problèmes sociaux et environnementaux de l’humanité ». En effet, aujourd’hui il coûte moins cher de polluer et de dégrader que de protéger et préserver. L’enjeu réside dans le fait de savoir s’il est possible de « créer des entreprises rentables, qui se développent sans détruire, directement ou indirectement, le monde autour d’elles ? » (L’écologie de marché, 1995).
C’est alors tout un processus de remise en question que les gestionnaires et dirigeants doivent réaliser, à la fois sur eux-mêmes, leur propre façon de penser et de concevoir le monde, mais aussi sur la manière dont ils perçoivent leur activité et sa finalité. La prospérité d’une entreprise ne réside pas que dans la rentabilité et ne doit pas se faire au détriment d’une équité sociale.
Les organisations doivent trouver des solutions pour réduire leur impact écologique sur l’environnement. Il leur faut concilier performance économique et respect de l’environnement. De nouveaux modes de fonctionnement s’imposent donc aux organisations, non plus uniquement pour une performance financière mais pour atteindre une performance globale.
C’est ce que propose le concept d’écologie industrielle, introduit en 1989 aux Etats-Unis par les ingénieurs de General Motors, Robert Frosch et Nicholas Gallopoulos dans la revue Scientific American. Il s’agit, selon Robert Frosch de « l’ensemble des pratiques destinées à réduire la pollution industrielle».

DEFINITION DE L’ECOLOGIE INDUSTRIELLE
L’EI a pour objectif de réduire l’impact de la pollution liée aux activités industrielles, de limiter les pertes de matières premières, et de valoriser les résidus. Et ce, en développant des synergies entre plusieurs entreprises. C’est-à-dire que les entreprises travaillent en commun, en revendant entre elles les résidus de production tels que l’eau, les vapeurs, les déchets, la chaleur… . Les déchets rejetés par certaines entreprises sont utilisés comme ressources par les autres entreprises. On parle ainsi de « symbiose dans le processus industriel ».
Le but consiste à réduire la pression des activités industrielles sur les ressources, d’utiliser au maximum les ressources consommées afin de limiter les pertes, et de valoriser les déchets, qui sont souvent négligés, une fois en fin de vie. Or, ces résidus recèlent de réelles opportunités en pouvant être réutilisés. Ainsi, le fait de puiser dans les ressources naturelles est minimisé. Les ressources ne sont plus gaspillées et leur utilisation est optimisée afin de générer le moins de déchets possibles. L’idée est de se baser sur le modèle circulaire des écosystèmes naturels qui ne génèrent aucun déchet ou très peu, et ainsi de créer un circuit fermé dans les échanges. Comme l’indique très bien la célèbre maxime d’Antoine Laurent de Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme ».
En outre, cette revalorisation représente une alternative aux traditionnels moyens de gestion de la pollution (recyclage, traitement des eaux…) qui traitent les déchets en bout de chaînes (end of pipe) et non à la source. Par conséquent, cela incarne une réelle opportunité aussi bien économique qu’environnementale pour les entreprises, puisque moins de frais sont à engager dans le recyclage, l’assainissement, et engendre également moins de gaspillage.
L’EI s’inspire du biomimétisme, c’est-à-dire l’observation de la Nature pour apprendre et en reproduire les formes, les matériaux et les interactions entre les espèces pour un fonctionnement global des écosystèmes naturels. Il s’agit d’appliquer ses fonctionnements pour un développement soutenable.

“TRASH IS CASH »
L’EI propose une vision circulaire du système économique : « Borrow Use Return », à l’inverse de notre système actuel qui repose sur une vision linéaire « Take Make Waste ». Notre système industriel néglige le potentiel des matières résiduelles alors qu’elles recèlent en réalité des propriétés insoupçonnées.
L’exemple de la ville de Kalundborg au Danemark qui a vu apparaître ce modèle dans les années 60, témoigne bien fondé du concept d’EI: plusieurs entreprises de cette ville travaillent en réseau afin de procéder à des échanges de déchets qui servent de ressources aux autres entités. L’essentiel des déchets des uns est employé comme matière première par les autres (chaleur, vapeur, eau, gaz, gypse, cendres, engrais, boues d’épuration…). Evidemment de nombreuses conditions doivent être réunies pour assurer le succès d’une telle symbiose. Les activités des entreprises doivent être différentes et complémentaires, être situées géographiquement à proximité, posséder des moyens technologiques semblables et disposer de dirigeants dont les relations sont étroites.
Même si l’écologie industrielle semble être une approche intelligente de gestion industrielle, on ne connaît toutefois aujourd’hui, que peu de cas d’entreprises procédant à ces. Comme dans tout système, cela implique de mettre en œuvre les moyens nécessaires, de réunir les conditions et de respecter les contraintes qui ne sont pas toujours évidentes à prendre en compte. La volonté de concilier performance économique et respect de l’environnement n’est pas une chose aisée et exige de la part des organisations des efforts d’adaptation et de remise en cause de leur fonctionnement et de leurs pratiques managériales. De plus, toutes les entreprises, en fonction de leur taille, de leurs ressources techniques, technologiques et financières, de leur environnement économique (parties prenantes), ne peuvent pas appréhender les problématiques que pose l’écologie industrielle de la même façon. Tout ceci nous amène alors à nous poser la question suivante : En quoi le type de l’entreprise peut influencer son adhésion aux démarches d’écologie industrielle ?
« Les principes de l’écologie industrielle représentent l’application la plus concrète et la plus complète du concept de développement durable » (Boiral et Croteau, 2001). Mais, quelles sont les raisons qui vont pousser les entreprises à adhérer ou non aux principes de l’écologie industrielle ? Ces raisons sont-elles les mêmes pour tous les types d’entreprise (PME ou grands groupes) ? Autrement dit, quels sont les différents freins auxquels les entreprises doivent faire face pour mettre en pratique une écologie industrielle ou encore quels sont les leviers qui jouent en leur faveur, en fonction de leurs spécificités.

Marine Bulet